Faire parler (ou mentir) des chiffres

Auteur : rv-gmonbac  16 mai 2021

Admission en médecine : pourquoi ce graphique de Frédérique Vidal est de la désinformation ?

On peut faire dire ce que l'on veut à un graphique, surtout quand ça nous arrange ! Et ce qui me révolte c'est quand c'est fait sciemment par un(e) ministre, qui plus est de l'Enseignement, de la recherche et de l'innovation, CONTRE des étudiants.


Difficile en effet, quand on est biochimiste et qu'on a présidé une université, de dire qu'on n'a pas fait attention... où alors c'est donner une piètre image du supérieur français.


Les faits sont relatés dans l'article de LCI, suite à son intervention du 7 mai.

Le graphique

graphique trompeur de Frédérique Vidal

Effectivement la hausse du nombre d'admis en deuxième année semble être exceptionnelle ! Merci la réforme ! Je ne dirai pas qu'il s'agit d'une tromperie (bien que je le pense) mais revenons aux fondamentaux (comme pourrait le dire un entraîneur de rugby avant le début du match...).


Commençons par remettre tout cela sur des axes verticaux qui partent de zéro et la perspective change déjà un peu...

Graphique dans les règles de l'art...

graphe admission deuxième année médecine

Alors sans les couleurs et avec une vraie échelle cela change déjà pas mal de choses ! La hausse se voit (elle est réelle) mais elle est moins impressionnante.


Pas de quoi fouetter un chat me direz-vous ? Oui mais en sciences on a l'habitude de faire des comparaisons, ou pour parler technique d'observer des écarts relatifs et non pas absolus.


Pour faire simple, quand on augmente de 50€ une personne qui gagne le SMIC, elle s'en rend compte ! Pour un joueur de première division de football c'est comment dire... invisible.


En fait ici l'augmentation est de 14% en 11 ans ! Ce qui correspondrait, si c'était votre argent placé à la banque, à une hausse de 1,2% par an. Aîe ! Beaucoup moins glamour madame la ministre.

On pourrait voir les autrement

Qui nous soignera dans les années à venir ? Il y a des chances que ce soient justement ces actuels élèves en médecine. On pourrait alors poser côte à côte l'évolution des places pour ces étudiants à celle de la démographie. Et si j'étais aussi malhonnête que les chargés de communication voici ce que je ferais : 

comparaison places en deuxième année médecine et démographie

Dans les deux cas les nombres sont corrects. La démographie française a augmenté de 2,7 millions de personnes en 10 ans. Tout de suite la perspective est moins flatteuse.

Que retenir de tout cela ?

Un de mes rôles d'enseignant est d'apprendre aux élèves à lire les graphiques, faire preuve de sens critique. Je pensais naïvement que c'était pour ne pas se faire tromper par ce qui parfois peut sembler "évident". Mais en réalité c'est de l'autodéfense intellectuelle CONTRE ceux qui chercheront inévitablement à les duper.


C'est la jeunesse d'aujourd'hui qui construira notre monde de demain, et je pense qu'il est temps qu'on arrête de lui mentir. Là où le Conseil d'Etat et le Tribunal Administratif affirment qu'il y a tout de même des questions à se poser sur la mise en place et l'application de la réforme en études de médecine, on ne peut pas continuer à nier certaines évidences.


Le débat est en fait bien ailleurs. Ce n'est pas tant un problème de place qu'un problème d'équité. Sacrifier une promotion pour mettre en place une réforme, cela revient à choisir dans les couloirs des urgences ceux qu'on va sauver et ceux qu'on va laisser mourir. Notre société à refusé de faire ce choix face à la pandémie, peut-elle le faire pour de jeunes étudiants qui nous soigneront demain ?

  • Petit cours de zététique pour garder un œil critique ! C’est toujours important ! Je viens de retomber sur votre page, toujours très chouette.

  • {"email":"Email address invalid","url":"Website address invalid","required":"Required field missing"}
    >